Relance des économies africaines : les observations et propositions de Lionel Zinsou
Lionel Zinsou, président de la Banque d’affaires SouthBridge, ancien Premier ministre du Bénin, président de la Fondation Terra Nova et de la Fondation de l’Ecole Normale Supérieure de la Rue d’ULM.
Source : Comprendre.media (Propos recueillis par Aaron Akinocho)
285 milliards de dollars de financements supplémentaires sur la période 2021-2025. C’est le montant dont les pays africains ont besoin pour relever leurs économies durement frappées par la pandémie de Covid-19, selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 15 juillet 2021, dans le cadre de la réunion de la 20ème reconstitution des ressources de l'Association internationale de développement (IDA-20), les chefs d’État et de gouvernement d’une quinzaine de pays africains ont sollicité une aide urgente (dons, prêts et subventions) de 100 milliards de dollars à la Banque mondiale. A court, moyen et long terme, comment accompagner les pays à faible revenu et ceux à revenu intermédiaire ? Lionel Zinsou, banquier d’affaires et ancien Premier ministre du Bénin, répond aux questions de "Comprendre.media". Extrait.
Le monde sort péniblement d’une pandémie qui a sévèrement affecté les économies africaines. L’heure est-elle toujours à l’afroptimisme ?
Le Covid est un désastre pour l’Afrique. Pas tellement parce que ça a été ce que tous les afro-pessimistes annonçaient, c’est-à-dire que l’Afrique serait le continent qui allait avoir le plus de morts. C’est le continent qui en a eu le moins. Pas parce que c’est un continent que les afro-pessimistes définissent comme très mal organisé, avec une très mauvaise gouvernance, et un très mauvais système de santé. En réalité, voyant ce qui s’est passé en Europe, à savoir une réaction lente un peu désordonnée, il y a des pays africains qui sont allés très vite. Et notre pays fait partie des pays qui ont mieux géré que beaucoup de pays riches. Le Maroc et le Rwanda aussi sont allés très vite. Mais ça reste une catastrophe parce qu’on était bien plus pauvres que les pays riches qui ont eu beaucoup plus de morts. On a eu beaucoup plus de gens qui ont des revenus journaliers qui ont été perturbés. Pour nous, c’était une crise sanitaire moins grave que le reste du monde, mais une crise sociale plus grave. Et même la reprise économique est plus compliquée pour nous que pour les pays riches.
On a actuellement une croissance de rattrapage extrêmement forte dans le monde entier. La France a fait une croissance de 7 % qu’elle n’avait jamais faite. Or chez nous, ce qu’on voit de la reprise, c’est d’abord qu’il y a eu moins d’aides aux entreprises et moins d’aides pour soutenir le revenu des familles. On assiste aussi à une hausse des prix liée au fait que le monde entier est en surchauffe. Les transports coûtent beaucoup plus cher, l’énergie coûte beaucoup plus cher. On peut se consoler en disant que notre coton coûte beaucoup plus cher. On gagne plus sur le café et l’or entre autres. Mais les populations ont reçu beaucoup moins de secours. Les Américains par exemple ont réussi à maintenir leur revenu ou à l’augmenter significativement durant la pandémie. Pas nous. Nous, on a eu plus d’effet de crise sociale que dans les pays riches. Et c’était tout l’enjeu du dernier sommet UA-UE qui portait sur la distribution de concours financiers à travers les droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international (FMI).
Justement, comment l’Afrique peut-elle relancer son économie post-covid ?
On a remis pour l’Afrique entière 33 milliards $, qui font 1,2 % du PIB du continent. C’est une petite fraction de ce que les pays riches ont réussi à mobiliser. On essaie de passer de 33 milliards à 100 milliards $ pour atteindre 3 % du PIB africain, et de façon à permettre de faire décoller une reprise saine. Nos populations souffrent dans la reprise, alors qu’il y a des pays où ces populations se reconstituent dans la reprise.
Le président Macky Sall en a fait le grand thème de sa présidence de l’UA. Nous ne voulons pas rater la reprise parce qu’on nous contraindrait à réduire le déficit budgétaire, à ne pas lever de la dette. Tout le monde a levé de la dette, et c’est sur nous qu’on pointe le doigt ! Et pourtant, nous sommes le continent le moins endetté. Et ceci non seulement en dette publique, mais aussi en dette privée. Pour le secteur privé, on est endettés à 1/10ème du niveau de certains pays riches. Même pour le secteur public, on est le continent le moins endetté. Et c’est incroyable, mais c’est sur nous que des orthodoxes, des pessimistes, des conservateurs pointent le doigt en disant : « Assez ri ! Maintenant, vous allez revenir à la bonne orthodoxie.». Ce n’est pas possible à entendre comme discours. C’est le président de l’UA qui a raison de dire, «maintenant, on va rendre cette reprise efficace et acceptable socialement.»
En parlant de la dette, il y a eu cette opposition entre les ministres des Finances sénégalais et béninois sur la suspension de la dette. Et la posture du ministre béninois, Romuald Wadagni, avait été de ne pas suspendre la dette privée. Avec le recul, était-ce la chose à faire ?
J’ai écrit tout de suite dans Jeune Afrique que c’était la chose à faire. Oui ça a fait polémique parce qu’il y avait une position de l’UA qui était : «Réduisez nos dettes ». Et je crois que la position du Bénin et de beaucoup d’économistes était : « Oui, réduisez seulement nos dettes vis-à-vis des institutions de développement.»
Sur le marché des capitaux, nous avons mis 15 ans, comme continent, à avoir une signature respectée. En réalité, il y a très peu de défauts africains. Il y a certes l’Erythrée et le Zimbabwe, mais ce ne sont pas des pays qui comptent de façon très importante dans la dette totale du continent. Notre signature a donc gagné en qualité. Dans le cas du Bénin par exemple, notre taux d’intérêt baisse de 100 points de base, donc 1%, chaque année, à chaque émission. C’est-à-dire que tous les ans, les gens sont prêts à prêter au Bénin en particulier, à moins cher. Et ça, c’est lié à la qualité de la signature. Notre position était donc : « Ne faisons pas défaut, ne demandons pas à ne pas honorer la dette vis-à-vis des marchés financiers.»
En revanche, je crois que personne n’a le moindre problème à dire oui, si du côté de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement (BAD), et des institutions dont c’est le rôle de faire du développement, ils sont prêts à reprofiler notre dette. Ces institutions ont accepté de la suspendre, et elle sera encore suspendue pendant quelques mois. Cette suspension donne une bouffée d’air. Mais le tiers seulement de la dette africaine est sur les marchés internationaux via ce qu’on appelle les euro bonds. Ce sont des obligations du trésor qu’on arrive à placer dans le monde entier. À ce niveau, franchement, je crois qu’on avait eu raison de dire : « Ne demandons pas la suspension du remboursement parce qu’on a mis des années à crédibiliser notre signature ».
Je sais que ça n’a pas seulement opposé tel ou tel ministre des Finances de tel ou tel pays. Ça a fait polémique même à l’intérieur du Bénin. Ici, il y avait des gens qui disaient que ce n’était pas bien de prendre cette position alors qu’on avait peut-être une possibilité d’obtenir une réduction de la dette.
Moi, j’ai pris cette position-là parce que, quand j’étais arrivé au gouvernement, tout l’endettement du Bénin était à un an, et en franc CFA. Maintenant, il est en dollars, en euro, en FCFA, il est varié. On est à des taux d’intérêts qui sont 40 % plus bas. Les dernières émissions du Bénin, c’est une tranche à 10 ans et une tranche à 30 ans. Quand on a la possibilité de s’endetter à 30 ans, on peut faire des projets qui ont le temps de s’amortir. Et on a fait un progrès énorme par rapport à avoir des dettes exigibles l’an prochain. Parce que si vous avez une maladie du coton, des invasions de criquets comme en Afrique de l’Est, une sécheresse comme dans les pays sahéliens, vous êtes en défaut l’an prochain. Or, là, ce n’est plus le cas. Donc garder la qualité de la signature est une très bonne idée. Et l’Afrique a pu continuer d’aller sur les marchés et de pouvoir lever les ressources qu’il lui fallait.
Le président béninois, Patrice Talon, déclarait il y a quelques années que le risque en Afrique est surévalué et que ça se traduit sur le coût de la dette de nos pays. Partagez-vous ce sentiment ?
Oui, et j’ai été content que le président Talon le dise. Et j’ai été également content que le président Macky Sall le rappelle. Et je suis d’autant plus content de l’avoir dit depuis à peu près 15 ans dans le monde financier.
À notation égale du pays, si on est en Asie ou en Amérique latine, on paie moins cher la dette que l’on place sur le marché que si on est en Afrique. Aujourd’hui, le niveau d’information sur l’Afrique est faible, en dehors de l’Afrique et sur le continent lui-même. Alors il suffit qu’on dise : « Ah, il y a un pays africain en défaut» pour que ça affecte les autres. Alors l’Erythrée est en défaut. Le Zimbabwe et la Zambie aussi. C’est triste. Mais ils représentent quoi ? 5 % du PIB ? Et à eux trois, ils pénalisent les 95 % restants. Les investisseurs se disent, en Afrique, on sait bien qu’il y a des défauts. Mais attendez ! Le fait que la Grèce ait été en défaut n’a pas compromis le jugement sur l’Allemagne. Les gens nous considèrent comme un seul pays qu’ils ne connaissent pas. Et donc il faut qu’ils nous connaissent. Il faut donc qu’on parle de nous-mêmes. Il faut qu’on explique : « L’Afrique n’est pas en défaut ».
Et c’est peut-être d’ailleurs pour ça que ne pas se mettre volontairement en défaut quand on pouvait faire le service de la dette commerciale, c’était assez important. Donc oui, le risque est encore surévalué.
Comment améliorer cette situation?
Il y a des signes avant-coureurs de progrès. Quand la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) a fait une émission il y a un an destinée à des projets de transition énergétique sur l’ensemble de l’Afrique de l’ouest, on a levé à 2,75%. 2,75 %, c’est la moitié du taux d’intérêt d’il y a cinq ans et c’est le tiers d’il y a dix ans. Donc on reconnaît enfin que le risque est plus faible qu’il y a cinq ou dix ans. Et le plus intéressant, c’est que ce sont des Asiatiques qui ont souscrit pour 40 % alors que ce sont ceux qui connaissent peut-être le moins l’Afrique, et ils étaient absents des émissions. Et là, pour la BOAD, ils sont venus à 40 % de l’offre de liquidités.
Ce sont des signes avant-coureurs qu’on arrive à s’expliquer, à aller sur le marché, à dire : « Nous ne serons pas en défaut. Nous ne sommes pas sur-endettés. Et nous avons plus de croissance que les autres.» Qui a plus de croissance que l’UEMOA? Quelques pays d’Asie. Point. Donc il faut qu’on nous connaisse pour nos qualités. C’est un peu comme dans l’art contemporain. Les gens ne savent pas quels sont nos talents. Et c’est pour ça qu’il faut faire des expositions de nos talents artistiques et de nos talents financiers.
Notre Voix est l’auteur du titre et du chapeau de cette interview.