Média 100% solutions

Bienvenu Koissivi Kadja : « l’éducation populaire est le moteur du développement durable de l’Afrique »


Bienvenu Koissivi Kadja, coordonnateur national de l’Organisation non gouvernementale La Casa Grande-Bénin. – © Notre Voix.

Propos recueillis par Thalf Sall

L’éducation populaire constitue un défi majeur pour le continent africain. Elle permet d’améliorer le système social et l'épanouissement individuel et collectif : les populations travaillent à partir de leurs situations pour les analyser, les comprendre et agir pour les transformer. Bienvenu Koissivi Kadja, spécialiste des questions éducatives et de développement, estime que l’éducation populaire « renforce l’alphabétisation des populations  en Afrique ». Selon lui, elle constitue « le moteur du développement durable du continent ». C’est pourquoi il encourage les décideurs publics à expérimenter davantage cette démarche collective afin de favoriser l’autogestion, l’émancipation, la solidarité, la justice, la bonne gouvernance et la transformation des rapports sociaux.

Présentez-vous à nos internautes ?

 

Je m’appelle Bienvenu Koissivi Kadja. Je suis le coordonnateur national de l’Organisation non gouvernementale La Casa Grande-Bénin. Expert en management des projets internationaux, je suis titulaire d’une Maîtrise en Economie.

La Casa Grande-Bénin est une organisation d’origine espagnole créée en 2000 et enregistrée en 2002. Notre vision est de réaliser un monde meilleur où les enfants, les jeunes, les adultes vivront heureux et pourront se prendre en charge pour contribuer efficacement au développement de leur nation. Elle œuvre aujourd’hui dans 4 principaux domaines : l’accueil et la prise en charge des enfants en situation difficile ; l’éducation et la formation professionnelle ; l’Eau, l’Hygiène et l’Assainissement (EHA) et l’Agropastoral. Elle a l’autorisation de couvrir tout le territoire national.

 

Selon vous, qu’est-ce que l’éducation populaire ?

 

L’éducation populaire est cette forme d’éducation différente de celle classique qui consiste au seul transfert de connaissances, de maîtrise des lettres et de leur association pour en faire des expressions dans un cadre scolaire. Ici, l’éducation populaire fait appel à ce mode d’éducation continue qui relève de la formation et de la sensibilisation des groupes de personnes sans distinction de leurs origines et de leurs niveaux de vie hors du cadre formel. Visant à un apprentissage à la fois individuel et collectif pour une transformation socioéconomique, environnementale du groupe, elle est une alternative au système scolaire formel et met l’accent sur le groupe comme noyau central indispensable à la solidarité pour induire un dynamisme de transformation et d’émancipation des membres d’une communauté ou d’un groupe. Elle prend la forme d’alphabétisation permanente tout au long de la vie, avec l’ambition d’une éducation accessible à tous. Elle peut se définir comme une volonté d’émancipation individuelle et collective à partir de pratiques actives et concrètes d’apprentissage souvent orientée vers les adultes ou des personnes subissant une pression sociale, économique, juridique et environnementale.

PAULO FREIRE*, philosophe de l’éducation, confirme que « l’Education ne pourrait être réduit à une simple connaissance des lettres, des mots et des phrases, mais elle devrait devenir une action pour la démocratie qui stimule la collaboration, la décision, la participation et la responsabilité sociale et politique des formés ». Du coup, l’éducation populaire est devenue un creuset de formation et d’apprentissage des communautés marginalisées pour obtenir plus de droit et de responsabilités au sein de la société.

 

Comment est-elle mise en œuvre en Afrique ?

 

L’éducation populaire est devenue une réalité en Afrique dans les années 1960 avec la vague des indépendances des Etats africains. Elle prenait la forme de revendications et de résistance mais c’est dans les années 90, naissance des régimes démocratiques, qu’elle est devenue une véritable arme de transformation de la société civile en soutien aux idéaux que véhiculent la démocratie et le droit des peuples.

L’éducation populaire est mise en œuvre en Afrique pour répondre à l’analphabétisme qui constitue un véritable frein au développement des peuples. Elle a fait son apparition hors du système formel d’éducation pour apporter une solution efficace aux questions de pauvreté et d’inégalité sociale et économique qui minent le développement du continent africain et empêchent la production et l’innovation.

L’éducation populaire est  mise en œuvre en Afrique sous 2 formes. D’abord sous la forme d’un système de rattrapage (seconde chance) de groupes de personnes n’ayant pas eu la chance de passer par le système d’éducation classique. Elle se réalise alors sous la forme de sessions de sensibilisations, de formations, d’éducation et d’alphabétisation des groupes marginalisés et vulnérables en vue de l’acquisition de savoirs et de compétences pour une transformation socio-économique, culturelle individuelle et collective. Ensuite, elle prend également la forme d’association ou de regroupement de personnes de différentes catégories sociales qui subissent les mêmes pressions sociales et décident de recourir à un échange d’expériences, de savoirs, de culture pour mener des actions pour un changement social ou pour plus de justice, d’équité, d’égalité et de participation citoyenne à la gouvernance de la chose publique.

Au Bénin, au Sénégal, au Togo et en Côte d’Ivoire, par exemple, l’éducation populaire a pris la forme d’information, d’éducation et de communication souvent mis sous le vocal (IEC) pour permettre aux communautés défavorisées et vulnérables d’avoir accès à la connaissance. Le but est d’opérer un changement de comportement au sein de la communauté. Ce changement de comportement est souvent une condition préalable à la réussite d’un projet d’activités génératrices de revenus, d’hygiène et d’assainissement en milieu rural, de santé, d’autonomisation et de renforcement de la résilience des femmes en milieu rural. L’éducation populaire, s’il est vrai qu’elle peine à être formalisée au niveau des différents ministères en charge de l’éducation, est importante pour la réussite de nombre de projets gouvernementaux ou conduits par les organisations internationales.

 

Qu'en est-il de l’alphabétisation des populations tout au long de la vie ?

La question de l’alphabétisation fait partie de l’atteinte des Objectifs de développement durables (ODD). L’ODD 4 prévoit d’ « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Malgré la proclamation du 8 septembre comme Journée internationale de l’alphabétisation par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), un travail profond reste à faire car l’Afrique subsaharienne continue de fournir le faible taux d’alphabétisation.

Au Bénin, il faut reconnaître qu’il y a eu un relâchement au niveau du système d’alphabétisation mais depuis quelques années, plusieurs projets intègrent l’alphabétisation comme une activité phare de développement communautaire. Lors de la 56è édition de la Journée internationale de l’Alphabétisation, le directeur national de l’Alphabétisation et de la promotion des langues nationales disait : « il y a eu une chute de l’effectif alphabétisé qui est tombé à près de 2000, voire 3000 personnes. Aujourd’hui, nous sommes à 18 000, et si nous devons aller dans les statistiques détaillées, plus de 30 000 personnes sont impactées par les questions d’alphabétisation au Bénin ». Le Programme d’Action du Gouvernement, en son Axe 5, stipule : « Les ambitions actuelles du développement et les réformes éducatives exigent une meilleure organisation et l’arrimage du sous-secteur de l’alphabétisation au système éducatif formel afin de lui donner toutes les prérogatives concourant à l’élimination de l’analphabétisme ». Cela suppose alors que l’alphabétisation est de plus en plus considérée comme un facteur de développement par les décideurs.

 

Qu’est-ce que l’éducation populaire apporte-t-elle aux populations ? Comment peut-elle transformer les sociétés africaines ?

 

Une prise de conscience : dès que les populations arrivent à se rendre compte qu’elles détiennent des ressources et capacités qu’elles peuvent utiliser pour faire face à leur vulnérabilité et aux inégalités qu’elles subissent, elles sont capables de grandes transformations pour changer leurs conditions de vie. C’est une voie d’émancipation qui mène les populations vers leur autonomie. Car désormais l’environnement, le sexe, le diplôme… ne constituent plus des handicaps au développement socioéconomique mais plutôt des moyens d’autodétermination et d’affirmation. Les populations connaissant leurs droits et devoirs sont capables de prendre la parole et des responsabilités au sein des foyers et de leurs communautés.

L’éducation populaire est aussi un moyen de sortir de la pauvreté ; les connaissances acquises sont investies dans les différentes activités communautaires pour plus de rentabilité. C’est un moyen de faire porter sa voix pour se faire entendre, un moyen de participation à la gestion de la chose publique : la société civile demande des comptes aux pouvoirs publics, elle communique également ses besoins sous forme de propositions.

En Europe, en Amérique du sud et même en Afrique du Sud, les idées véhiculées par Paulo Freire à travers l’éducation populaire ont apporté d’énormes transformations de la société en matière de justice sociale, d’équité et de démocratie. Ces résultats continuent d’influencer le choix des nations aujourd’hui. Lentement mais sûrement, l’éducation populaire transforme les sociétés africaines. Elle apporte beaucoup à l’Afrique, comme une prise de conscience des valeurs africaines, une valorisation des langues maternelles, une indépendance socio-économique, une émancipation des communautés vulnérables, une réduction de la pauvreté, un renforcement de la dignité humaine, etc. 

En réalité, l’éducation populaire est le moteur du développement durable de l’Afrique.

 

Comment voyez-vous l’impact sur le terrain ?

 

L’impact est visible dans nos villages, quartiers, arrondissements et municipalités. On note la capacité à entreprendre surtout chez les femmes qui sont désormais capables de gérer leurs revenus, calculer leurs bénéfices, enregistrer leurs ventes… Il y a aussi l’émancipation et la dignité car l’éducation populaire, via l’alphabétisation, est reçue par les femmes comme un relèvement de leur position sociale et de  leur dignité. Pour les communautés vulnérables, c’est un moyen d’affirmer leur existence au sein d’une société qui tend à les oublier. L’impact s’observe également dans d’autres champs : à travers l’acquisition de notions d’hygiène qui contribue à la réduction des cas de maladies, à travers l’éducation et la scolarisation des enfants et l’apport en ressources pour appuyer les frais scolaires.

 

Que proposez-vous pour la renforcer ?

 

La refondation du système éducatif africain s’impose : pour l’adapter aux réalités actuelles, mobiliser la société civile autour des idéaux de l’éducation populaire, attirer l’attention des décideurs sur les bénéfices de l’éducation populaire et intégrer les langues maternelles dans l’apprentissage et la formation. Sans oublier l’intégration dans l’éducation populaire des nouvelles approches liées à l’environnement, l’économie sociale, la justice, la santé, l’eau, l’assainissement.

 

*Paulo Freire est un pédagogue brésilien à l’origine d’une méthode d’alphabétisation pour adultes.


Lire les commentaires (0)

Articles similaires


Soyez le premier à réagir

Ne sera pas publié

Envoyé !

Catégories

video-play-icon