Transformation du beurre de karité : les secrets et réussites d'Oumaya Moussa Abdoulaye
Obtention, lavage et lissage de la crème. Cette crème a un fort taux de concentration en acidité oléique. – © Notre Voix.
Propos recueillis par Thalf Sall
Oumaya Moussa Abdoulaye a su mobiliser l’énergie et les ressources nécessaires pour mener et porter son projet professionnel. En octobre 2019, cet économiste crée la société Industrie de Transformation de Karité du Bénin (ITraK-Bénin) et s’engage avec passion dans l’entrepreneuriat pour travailler et exprimer son potentiel. C’est à Parakou, au nord du Bénin, à plus de 400 kilomètres de Cotonou, que ce jeune de 33 ans s’est installé pour construire une chaîne de valeur durable pour le karité. Deux ans après, les résultats sont reluisants et substantiels, même si des défis restent à relever. Originalité, qualité et protection de l’environnement sont au cœur de ses activités. Une équipe de notre rédaction est allée à sa rencontre. Interview exclusive.
Comment êtes-vous devenu entrepreneur ?
J’ai parcouru plusieurs pays de la sous-région ouest-africaine. Au Sénégal, au Mali et au Burkina-Faso, j’ai eu l’opportunité, au cours de formations pluridisciplinaires, de contribuer à former des coopératives de femmes en milieu rural et péri-urbain à des activités génératrices de revenus liées à l’essence vitellaria paradoxa et ses produits. Ces rendez-vous du donner et du recevoir m’ont donné une compréhension plus profonde du potentiel économique, des propriétés physio-thérapeutiques mais aussi de la valeur sociale intrinsèque du karité dans les sociétés africaines.
Rentré dans mon pays, le Bénin, j’ai pu me rendre compte du caractère transposable et itératif du savoir acquis sur l’essence karité, surabondante dans la région septentrionale (au nord du Bénin), qui m’a vu naître. J’ai alors décidé, de concert avec mon épouse et partenaire professionnelle, Aissétou Moussa Abdoulaye née Oumarou, de faire du karité, la pierre angulaire de mon activité entrepreneuriale, dans l’espoir de le révéler autant comme levier de création de valeur ajoutée durable, que comme solution plurielle à des défis humains fondamentaux, alimentaires, sanitaires et environnementaux.
Quel a été l’élément déclencheur de cet intérêt pour le karité ?
Vous savez, les écosystèmes de production en Afrique au sud du Sahara ont toujours été pour moi, un sujet de passion et de préoccupation. J’ai fait trois constats. D’abord, le paradigme de la transformation est le parent pauvre de l’écosystème de la production sous nos latitudes, créant un manque à gagner liée à l’économie d’échelle perdue via l’exportation brute des matières premières.
Ensuite, ma seconde observation concerne la durabilité des produits forestiers non ligneux non encore pleinement valorisée et enfin mon troisième constat est lié au potentiel quasi infini de transformation de karité, tant de ses amandes que de ses feuilles, racines, branches, fleurs et de son écorce.
Parlez-nous un peu de votre entreprise ? Que fait-elle concrètement ?
Industrie de Transformation de Karité du Bénin (ITraK-Bénin) est une entreprise spécialisée dans la promotion, la protection puis la valorisation économique et écologique de la chaîne de valeur des Produits Forestiers Non Ligneux (PFNL) en général et de l'espèce Vitellaria paradoxa (karité) en particulier. C’est la résultante de mon vécu professionnel et de mes réflexions plus globales sur les écosystèmes de production en Afrique au sud du Sahara.
Nous travaillons en partenariat avec plusieurs institutions nationales et internationales dans les domaines de la recherche, de la culture, de l'agroforesterie, de la veille informationnelle autour du vitellaria paradoxa (karité), de la production et de la transformation de produits de rente.
Notre vision est de contribuer à impulser une dynamique nouvelle à l’industrialisation verte des produits forestiers non ligneux en Afrique subsaharienne avec pour mission de créer et d’entretenir une économie d’échelle porteuse d’opportunités d’emplois, par la transformation et la promotion de la chaîne de valeur complète du karité.
De la collecte de noix en passant par le traitement, la transformation jusqu’au packaging, le Group ITraK-Bénin bénéficie de l’appui institutionnel et technique des structures telles que l’Agence Nationale de Normalisation, de Métrologie et du Contrôle Qualité (ANM) et le Cabinet d’expertise et d’ingénierie MONRADO.
Nous bénéficions d’une assistance technique avec MONRADO et d’un appui institutionnel avec l’ANM, qui nous permet de respecter les normes sur le beurre de karité et de nous imposer sur le marché international où les clients ont une exigence forte en matière de qualité.
Nous poursuivons plusieurs objectifs stratégiques. Il s’agit de répondre aux exigences du marché international du beurre de karité pour l’industrie de cosmétique en garantissant le respect des exigences des partenaires (acheteurs) internationaux en termes de qualité, quantité et régularité des approvisionnements : garantie de qualité par la mise en place d’une traçabilité ; garantie de quantité par la mise en place d’un système d’approvisionnement des groupements de femmes en amandes de karité et appui à la production et garantie de régularité par l’accompagnement à l’exécution des commandes, conseils à la contractualisation et appui logistique.
Nous rendons disponibles et accessibles les produits usuels issus de la transformation du karité et œuvrons à les insérer dans les habitudes de consommation des populations d’Afrique subsaharienne (consommateurs). La finalité ici est de faire de la chaîne de valeur du karité, une source d’emplois à revenus stables et décents pour les jeunes africains.
Nous voulons aussi institutionnaliser la recherche-action autour des applications (économiques, thérapeutiques, sociales, et autres) de l’arbre de karité et de ses sous-composantes et surtout faire du karité béninois et de toutes ses déclinaisons consommables, un produit d’exportation de masse vers la sous-région ouest-africaine et à l’international.
Et pour atteindre ces objectifs, nous nous sommes fixés des principes et des valeurs : Intégrité (être transparent et véridique dans notre rapport aux autres), professionnalisme (faire ce qui doit être fait, quand ça doit l’être, du mieux que ça puisse être fait) et résilience (capacité à encaisser des chocs et à y survivre, en recherchant des solutions locales aux défis locaux).
Dans la pratique, comment travaillez-vous ?
ITrak-Bénin (itrakbenin2019@gmail.com / Parakou-Bénin / 00229 99007200), c’est au moins 105 emplois directs et indirects. Notre particularité réside à trois niveaux : dans la collecte (traitement des amandes), la transformation et le packaging.
Après l’acquisition des amandes chez les femmes collectrices, nous passons au tri des amandes germées, pourries, moisies ou même contaminées par le sable. C’est de là que part la qualité de notre beurre. Car la qualité du beurre est fonction de la qualité des amandes.
Lors de la transformation, les amandes subissent des manipulations techniques. Les parties des machines en contacte directe avec la matière première (amandes de karité) sont en pierre alimentaire en lieu et place des dents en fer. C’est donc ce qui explique l’absence des mailles de fer dans notre beurre lors des examens au laboratoire. Mieux, notre beurre de karité est obtenu dans les conditions hygiéniques et ne subit aucune transformation ou « raffinage ». Ainsi donc, il conserve toutes les fibres végétales qui lui confèrent un fort environnement vitaminique (vitamine A, E et F).
Notre beurre de karité est conditionné dans des emballages hermétiquement fermés ; cela pour lui permettre de conserver ses Indices de peroxyde réglementaire. L’indice de peroxyde est une mesure de la quantité d’oxygène chimiquement lié à une huile ou un corps gras sous forme de peroxydes.
A ITrak-Bénin, nous garantissons au marché international du beurre de karité, le respect des exigences des partenaires (acheteurs) internationaux en termes de qualité, quantité et régularité des approvisionnements.
De plus, nous prenons en compte le volet écologique car les vertus écologiques sont indispensables au karité, favorisant les cultures et la biodiversité. Grâce au système racinaire tortueux du karité, il prévient l’érosion et favorise l’association avec d’autres cultures. C'est fort de cela que notre projet est en cours d'expérimentation d'un pack à karité.
En termes de solutions, qu’est-ce que vous apportez d’exceptionnel aux consommateurs ?
Notre beurre de karité permet de compléter l’action des filtres solaires introduits dans les produits cosmétiques. C’est un anti vieillissement grâce à l’hydratation de la peau. Les vitamines A, E et F que contient notre beurre de karité permet d’améliorer la génération des tissus et stimule les cellules en état d’autoprotection. Ceci permet de lutter contre les affections dégénératives de la peau dues à l’âge et au soleil.
La vitamine A que contient le beurre de karité made in ITraK-Bénin permet de lutter contre les dermites, les gerçures et les crevasses ou les ulcères cutanés (cicatrisation et désinfection).
Les caractéristiques anti-élastases permet de lutter contre les vergetures (élasticité).
Le beurre de karité made in ITraK-Bénin protège contre les courbatures et rhumatismes (effet anti-inflammatoire) et joue un rôle protecteur des cheveux, grâce à la vitamine A. Il rend les cheveux longs, souples et brillants.
Quelles sont les marques de produits qu’on retrouve chez vous ?
Nous en avons plusieurs et de très bonne qualité. Vous avez le KariGuia qui est un Beurre de Karité Pur (Ivoire – à usage cosmétique, alimentaire et thérapeutique, entretient la peau, les cheveux et protège des craquelures de lèvre, de talons, etc.)
Le KariMix est un Beurre de Karité Hybride au borututu (jaunâtre – à usage surtout thérapeutique, lutte contre les problèmes de foie et traite efficacement les hépatites surtout de type C).
Le KariGum, c’est l’Huile de Karité (jaunâtre – à usage strictement alimentaire, alternative crédible à l’huile d’arachide).
Le beurre de karité de ITraK-Bénin est non raffiné et exempt de tout corps étranger. Il est caractérisé par sa couleur, son odeur et sa saveur.
Nos caractéristiques physiques, chimiques et compositions des esters méthyliques sont connues du public pour des raisons de transparence.
Avez-vous des partenaires nationaux et internationaux ?
Au Bénin, l'université privée Les Cours Sonou et les supermarchés La Franchise, Cendrillon et La Gare sont quelques-uns de nos partenaires.
Au plan international, nous discutons actuellement avec les institutions Bensaxo et Sowutu pour voir dans quelle mesure travailler ensemble, sur des projets communs.
Sur le plan national, nos produits sont vendus dans les supermarchés, pharmacies, centres esthétiques et chez des particuliers.
A l'étranger nos produits sont vendus à Dubaï par l'entremise de l'entreprise ghanéenne Alagie & Fatis LTD.
Nous avons besoin de nouer des partenariats avec des universités occidentales et des centres de recherches pour mettre en valeur les savoirs acquis depuis une décennie d'années sur l'essence vitellaria paradoxa (karité). Nouer des partenariats avec les investisseurs prêts à investir dans notre projet pour ainsi accéder à la plus grande industrie de transformation de karité au Bénin pourquoi pas en Afrique de l'ouest, c’est notre vœu le plus ardent.
Nous avons besoin de gagner le marché du beurre de karité des pays asiatiques, européens et américains.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Créer un centre de recherches et de documentation typiquement sur les Produits Forestiers Non Ligneux (PFNL) en Afrique. C’est notre rêve. Nous espérons le réaliser très bientôt !
Nous avons également en projet de faire l'extension d'une usine moderne, de créer un programme de formation professionnelle certifiant sur la chaîne de valeur du karité, de créer et d’animer une communauté transnationale d'acteurs de la recherche, de la culture, de la transformation et de la veille informationnelle autour du karité et d’opérationnaliser un réseau de distributeurs exclusifs de produits du karité béninois à l'étranger.
Nous vous laissons conclure l’entretien.
Je n’ai qu’un seul mot : Merci. J’adresse mes sincères remerciements et mes vives félicitations à votre média international Notre Voix pour sa ligne éditoriale novatrice.
Cette méthode de diffusion de l’information permet de valoriser le travail des entrepreneurs africains. Cela va nous donner de la visibilité au plan international et nous ouvrir des portes. Et vous le faites gratuitement ; c’est une grande première !