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Evelyne Gomis, promotrice du Festival Isikolé, recevant sa Médaille d’Honneur à la deuxième édition de la Semaine l’Afrique des Solutions (SAS), le 21 septembre 2024 à la mairie du 16ème arrondissement de Paris. – © Notre Voix.
Texte par : Thalf Sall
Le samedi 26 avril 2025, l’Espace Maison Blanche de Châtillon, en Île-de-France, abritera la deuxième édition du Festival Isikolé, dédié aux familles et aux enfants. L’objectif de cette initiative est de renforcer les liens familiaux et valoriser les cultures et valeurs afro-caribéennes. Au menu cette année, il y aura des expositions, des ateliers, des conférences, de la cuisine afro-caribéenne, des animations culturelles, et des jeux éducatifs pour aider les enfants à apprendre et à progresser dans toutes les disciplines scolaires. « L’idée d’organiser ce festival est née de la volonté de rassembler les familles autour d’activités ludiques et créatives. Pour cela, nous avons prévu un énorme espace de jeux dans lequel les enfants de tous les âges et adultes trouveront de quoi s’amuser, s’émerveiller, s’épanouir, créer des liens, découvrir, apprendre et partager », explique Evelyne Gomis, promotrice dudit festival. « L’éducation étant le cœur de nos actions, nous avons tenu à ce que des professionnels puissent répondre aux questionnements qui se posent au sein des familles. Nous organiserons également des ateliers adultes-enfants qui permettront aux familles de se retrouver et de partager des moments mémorables : jeux de rôle, arts plastiques, jeux de société en équipe… Tout est prévu pour que les liens familiaux se resserrent dans la bienveillance », a-t-elle souligné, avant de répondre à nos questions sur son Ecole Isikolé, engagée dans la valorisation des cultures et de l'Histoire de l’Afrique. Entretien.
Quel constat est à l’origine de la création de l’école Isikolé ?
Dans une ère où le bien-être mental, physique et le développement personnel deviennent des préoccupations de plus en plus importantes aux yeux du grand public, nous nous sommes intéressés aux populations africaines, la diaspora, principalement les enfants. En janvier 2022, France 2 diffuse le documentaire “Noirs en France”, raconté par l’écrivain Alain Mabanckou. Ce documentaire, qui relate les expériences de racisme ordinaire et les dessous du racisme systémique, a particulièrement marqué les esprits. Une scène se démarque : l’expérience de la poupée blanche et de la poupée noire. Plus de 70 ans après la première expérience de ce type menée par un psychologue américain, on peut entendre des enfants à la peau mélanisée dire que, selon leur perception, la poupée noire paraît moche et méchante, tandis que la poupée blanche est belle et gentille avec de beaux cheveux. Cela fait malheureusement écho aux situations de personnes mélanisées qui blanchissent leur peau, modifient la texture de leurs cheveux, la couleur de leurs yeux pour ressembler coûte que coûte à un standard imposé : le standard de beauté occidentale. Malheureusement, cela en dit long sur les relations que les Africains, adultes et enfants, entretiennent avec eux-mêmes.
Si l’on se penche sur la société française au sens large, et particulièrement sur le système éducatif, nous pouvons clairement identifier des mécanismes qui conduisent à un manque d’estime et de confiance en soi flagrant chez les enfants d’ascendance africaine. En effet, de l’école primaire aux classes du secondaire, l’Afrique est décrite comme le berceau de l’esclavage et de la misère du monde. En parallèle, l’Europe est décrite comme la mère du monde civilisé, le berceau de toutes les connaissances et de toutes les découvertes. Comment se sentir valorisé en tant qu’enfant d’ascendance africaine partant de ce constat ? Bien que les statistiques ethniques basées sur l'origine (et non sur la nationalité) soient interdites en France, nous pouvons aisément constater que les Africains sont sur-représentés dans les domaines suivants : échec scolaire, déscolarisation précoce, délinquance, manque de formation/diplôme, métiers de service à faible valeur ajoutée, métiers pénibles, pauvreté, foyers monoparentaux.
Comment vous expliquez cette situation ?
Que ce soit sur le continent africain ou en Occident, un standard de beauté et de réussite s’est imposé de par l’Histoire esclavagiste et coloniale opérée par des pays européens. Dans un souci de maintien d’un rapport de force totalement inégalitaire, des gouvernements occidentaux se sont attelés à la tâche concernant la diffusion d’images et de stéréotypes dégradants vis-à-vis des personnes d’ascendance africaine. Ainsi, l’inconscient collectif s’est peu à peu forgé sur le fait que le Noir est associé à tout ce qu’il peut y avoir de péjoratif dans ce monde. Hélas, après des siècles d’efforts, l’Africain a totalement intégré cet état supposé d’infériorité aussi bien physique qu’intellectuelle. Par conséquent, son identité, son estime et sa confiance en soi et aux personnes qui lui ressemblent se trouvent fortement impactées. Il y a encore quelques années, le paysage médiatique français au sens large était particulièrement clivant : d’un côté une France “blanche” dont on valorise la beauté des femmes, l’intelligence, la force des hommes, la mignonnerie des enfants, les grandes entreprises, l’impérialisme comme instrument de domination et de grandeur, des séries, films et livres mettant en valeur ces personnages “blancs” en qui chacun peut s’identifier; de l’autre, des Africains pauvres qui ont constamment besoin de l’aide des ONG et gouvernements occidentaux pour se nourrir, des guerres, de la sorcellerie, des épidémies,...
Les grandes vagues migratoires provenant d’Afrique de l’Ouest ont vu s’articuler un mécanisme visant à “désafricaniser” les immigrés : il s’agit de la politique d’assimilation. Nombre de parents se sont vu interdire de parler leur langue maternelle par les enseignants sous prétexte que leurs enfants devaient s’intégrer et parler uniquement le français. Par conséquent, nombre d’enfants nés en France ou ayant grandi en France maîtrisent peu voire pas la langue de leurs parents. Les non français sont donc sommés de laisser de côté leurs langues, leurs histoires et leurs cultures, afin d’être parfaitement intégrés au système français. Cela se traduit par ailleurs, toujours au niveau de l’école, durant les cours d’Histoire. Le programme scolaire français (qui fait toujours office de programme officiel dans nombre de pays d’Afrique francophone) aborde l’Histoire de l’Afrique et ses rapports avec cette dernière de manière étrange.
Esclavage, colonisation, pauvreté, réchauffement climatique et coups d’Etat sont les seules thématiques abordées durant les cours d’Histoire. Comment un enfant peut-il se sentir valorisé en apprenant que ses ancêtres étaient des esclaves et que l’Afrique ne saurait exister sans l’intervention de l’Occident, encore de nos jours ? Comment, lorsque de telles images sont véhiculées, pouvons-nous développer une estime de nous quand nous savons ce que le fait d’avoir une peau mélanisée représente ?
Face à ce constat, que proposez-vous concrètement pour améliorer ou changer cette situation ?
Notre solution est simple et efficace : créer un espace scolaire au sein duquel les enfants reçoivent un enseignement de qualité visant à les désencombrer des biais imposés par la société en leur permettant de développer des connaissances et compétences qui les aideront à s'épanouir aussi bien personnellement que professionnellement. D’où l'Ecole Isikolé, créée en septembre 2020.
Interculturalité, représentation et acceptation de soi et des autres sont les valeurs qui rythment le quotidien de cette école d'un nouveau genre. Ainsi, chacun se laisse le temps de se découvrir, de s'accepter et de respecter l'individualité de ses pairs. Une communication intégrante et bienveillante permet ainsi à chaque enfant de s'exprimer avec aisance et confiance.
Notre équipe est composée de bénévoles passionnés d'éducation, d'Histoire, de culture et de transmission.
Pour atteindre cet objectif, que fait Isikolé sur le terrain ?
Destinée aux enfants âgés de 6 à 17 ans, notre école propose des cours en ligne (visio) :
- Tous les samedis matin
- Cours interactif adoptant une pédagogie participative : les enfants sont acteurs du cours
- Deux groupes : 6-11 ans ; 12-17 ans
- Une heure de cours
- Un programme riche et varié
Nous avons aussi des ateliers (présentiel et visio) :
- Un samedi sur deux
- A Paris
- Des thématiques enrichissantes
- Des projets à réaliser en équipe
- Des entrepreneurs passionnés qui transmettent leur savoir à la jeune génération
Toutes ces activités ont déjà donné quel impact ?
- Plus de 100 enfants inscrits à nos cours
- Près de 200 enfants ont suivi nos ateliers depuis la France, la Belgique, la Suisse
- Des dizaines de partenaires et collaborateurs en Europe, aux Antilles et en Afrique (Côte d'ivoire, Sénégal, Cameroun)
- Près de 30 nationalités représentées



